
Entre pop culture et agroécologie : la révolution en famille des Vignobles Bardet
Dans la famille Bardet, je demande… Alice ! Avec passion, elle nous raconte comment, en famille, ils révolutionnent les codes bordelais en misant sur l'agroécologie, les innovations et la pop culture. Un trio gagnant pour un domaine qu'on adore à Saint-Emilion !
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis Alice Bardet et je travaille avec mon père et mes frères au sein de notre domaine familial, situé au sud de Saint-Émilion. Nous reprenons progressivement la propriété, même si mon père aime dire qu’il partira à la retraite… ce qu’il ne fera probablement jamais (rires) ! Nous avons la chance d’avoir un papa passionné qui nous a transmis son amour du métier.
Ici, même si chacun a son rôle, nous restons très polyvalents et solidaires. Paul, l’un de mes frères, est en charge de la partie commerciale, Thibault s’occupe du marketing et de la communication, tandis que mon père, Philippe gère la production soutenu par nous tous. Pour ma part, je m’occupe de l’accueil et de l’expérience client. J’ai notamment développé l’œnotourisme au vignoble : notre situation au bord de la Dordogne offre des paysages magnifiques, parfaits pour faire découvrir notre terroir.
Quelle est l’histoire des Vignobles Bardet ?
Nous avons mené des recherches et retrouvé un acte notarié attestant d’un héritage datant de 1704, soit plus de 300 ans d’histoire. Et nous pensons même que nos racines remontent encore plus loin !
Nos ancêtres ont toujours été vignerons, mais ils étaient aussi gabariers : ils transportaient et vendaient le vin par bateau sur la Dordogne. D’ailleurs, notre logo rend hommage à cet héritage avec une gabare, l’embarcation traditionnelle de l’époque. Chaque génération a su apporter sa pierre à l’édifice en créant sa propre marque et son propre château.
Qu’a apporté votre génération et la précédente ?
Il est essentiel de parler des évolutions initiées par notre grand-père et notre père, car ils ont véritablement marqué un tournant dans notre philosophie. Celle-ci repose sur trois piliers : la famille, l’agroécologie et l’innovation.
À la fin des années 70 et au début des années 80, ils ont adopté une approche agroécologique, bien avant que ce soit à la mode. À l’époque, mon père faisait face à une invasion d’araignées rouges, nuisibles pour les vignes. Il a consulté une entomologiste qui lui a expliqué qu’en favorisant la biodiversité – par exemple en laissant pousser des couverts végétaux – il attirerait de plus grosses araignées qui réguleraient naturellement la population des petites. Mais à cette époque, voir de l’herbe entre les rangs de vignes était mal perçu, cela donnait une image de terres non entretenues ! Pourtant, depuis 1983, nous pratiquons l’agroécologie, et nos vignes sont devenues plus robustes.
Côté innovation, nous avons investi dans des technologies améliorant la qualité de nos vins. Dans les années 2000, nous avons mis au point avec l’aide d’un ingénieur une machine de tri par densimétrie permettant de ne sélectionner que les plus belles baies. Puis, entre 2010 et 2012, nous avons introduit un système qui sépare les petits et les gros raisins. Nous avons constaté que ces derniers n’avaient ni la même concentration ni les mêmes tanins : les petits raisins apportent des tanins plus veloutés et soyeux, ce que nous adorons. Cette approche de micro vinification nous permet d’affiner encore plus la précision de nos vins.
Vous avez lancé des cuvées inspirées de la pop culture autour de Peaky Blinders et le Seigneur des Anneaux. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Oui, c’est un projet porté par mon frère Thibault, qui a mis en place ces innovations marketing. Nous avons commencé avec une cuvée inspirée de Peaky Blinders. Mais l’idée n’était pas simplement d’apposer une étiquette avec le nom de la série ! Nous avons réalisé un vrai travail de recherche pour nous rapprocher des vins que les personnages auraient pu boire à l’époque.
Par exemple, au début du XXᵉ siècle, les cuves en inox n’existaient pas, alors nous avons élevé notre vin en cuve béton. Nous avons également collaboré avec un historien du vin pour approfondir nos connaissances. Après des négociations avec la production de la série, nous avons obtenu les droits d’exploitation, ce qui nous a offert une belle visibilité.
Forts de ce succès, nous avons poursuivi avec Le Seigneur des Anneaux. Tolkien était un épicurien et ses écrits regorgent de descriptions détaillées sur les paysages et les vins. Nous avons mené un long travail de recherche pour imaginer les vins de la Terre du Milieu, ce qui a abouti à trois cuvées aux profils très différents.
Quel a été l’accueil du public ?
Les fans des séries ont adoré ! Cela permet aussi de rendre le vin plus accessible à un public plus jeune et de casser certains codes du milieu viticole.
Bien sûr, certains puristes ont été sceptiques, se demandant ce que ces références faisaient dans le monde du vin. Mais une fois que nous leur expliquons tout le travail de recherche et l’authenticité du projet, la perception change. Et puis, ces cuvées restent des productions en petites quantités au sein de notre gamme.
Est-il plus difficile d’innover à Bordeaux qu’ailleurs ?
Bonne question… Je ne pense pas. Les jeunes vignerons de mon entourage veulent innover et proposer des vins qui leur ressemblent, sans forcément suivre les codes traditionnels.
Il y a quelques années, Bordeaux a souffert d’un certain Bordeaux Bashing : on nous reprochait une uniformisation des styles. Mais aujourd’hui, les choses évoluent. De plus en plus de vignerons misent sur des vins plus fruités et digestes, loin des vins corsés et trop boisés qui dominaient autrefois.
Nous-mêmes, avec nos engagements et nos vins sans sulfites, nous obtenons des vins encore plus fruités. J’adore les faire déguster à l’aveugle : les gens sont souvent surpris et n’imaginent pas qu’ils sont en train de goûter un Saint-Émilion !