
Petit précis de l’amertume dans la bière
Saveur indissociable de la bière, l’amertume est aussi la raison pour laquelle les premières gorgées de cette boisson sont particulièrement marquantes - un peu comme pour le café ou le chocolat noir. S’il faut habituer son palais à ce goût si particulier, vous allez apprendre dans cet article que l’industrie de la bière ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui sans l’amertume…
D’où vient l’amertume dans la bière ?
La source principale de l’amertume dans la bière est le houblon, plus précisément certains de ses composants appelés acides alpha et bêta. Toutes les variétés de houblons ne contiennent pas la même quantité de ces acides, c’est pourquoi les brasseurs sont très attentifs aux taux indiqués par les producteurs des houblons qu’ils achètent.
Même si les acides alphas sont amers dès la récolte, c’est surtout pendant le processus de brassage, plus précisément à l’étape de l’ébullition, que leur amertume se révèle pleinement : on dit qu’ils s’isomérisent (n’hésitez pas à ressortir ce mot à l’apéro, succès garanti). En prenant en compte le taux d’acides alpha et la durée d’ébullition, le brasseur peut même calculer la puissance de l’amertume de la bière finale, et ce avant de l’avoir goûtée ! Les acides bêta, quant à eux, révèlent leur amertume plus tard, en s’oxydant avec le temps.
Dans certaines bières, un autre ingrédient peut également apporter de l’amertume : les céréales. La majeure partie de celles utilisées pour brasser sont de couleur claire et traitées (lors de l’étape de maltage) pour rendre disponible les sucres qu’elles contiennent. Ces sucres seront consommés par les levures qui créeront alcool et gaz carbonique lors de la fermentation. Mais si l’on souhaite brasser une bière brune ou noire, aux arômes de cacao ou café, on a la possibilité d’utiliser des céréales torréfiées. Or, qui dit torréfaction dit… légère amertume.
Pourquoi la bière est amère
Dans la nature, l’amertume est le marqueur de tout ce qu’il est risqué d’ingérer : baies empoisonnées, feuilles toxiques et autres champignons vénéneux. L’être humain a donc rapidement développé une aversion naturelle et innée pour tout ce qui avait ce goût, y compris ce qui n’est pas pour autant dangereux pour sa santé (entendons-nous bien, l’alcool représente un risque pour la santé, mais ça n’a rien à voir avec l’amertume).
Mais alors, pourquoi diable brasseurs et brasseuses se sont-elles mises à utiliser le houblon pour brasser de la bière ? Eh bien, parce que ces fameux acides alpha et bêta ont une autre propriété capitale pour votre boisson préférée : ce sont d’excellents conservateurs. Plus précisément, ils sont bactériostatiques, c’est-à-dire qu’ils ralentissent la prolifération des bactéries. Bien avant que l’on découvre l’existence desdites bactéries, on avait tendance à ajouter tout et n’importe quoi dans la bière (herbes sauvages, épices…) pour camoufler le goût pas terrible qu’elle prenait en fermentant. Jusqu’à ce qu’une abbesse allemande du XIIème siècle du nom d’Hildegarde de Bingen, également naturaliste à ses heures perdues, découvre qu’en faisant bouillir la bière avec du houblon, elle se conservait mieux dans le temps.
Il faudra attendre les travaux de Louis Pasteur au XIXème siècle pour qu’on comprenne exactement le rôle des bactéries, mais entretemps l’usage du houblon s’est très largement répandu dans le monde brassicole. Et c’est ce qui a permis de faire voyager la bière et d’en faire un commerce florissant. La création du style IPA, notamment, date de l’époque de l’expansion coloniale britannique : un bière chargée en houblon, capable de supporter les longues semaines de voyage vers les Indes.
Toutes les bières sont-elles amères ?
Si vous êtes désormais convaincus de l’utilité du houblon, vos papilles, elles, restent réticentes ? Pas d’inquiétude, la bière a plus d’un tour dans son sac. Depuis Hildegarde de Bingen, brasseurs et brasseuses ont découvert que l’on pouvait bénéficier des propriétés conservatrices du houblon tout en apportant peu d’amertume dans la boisson. Certains styles de bières acides, comme les lambics, sont brassés avec de vieux houblons (on dit aussi “surannés”, hop, un nouveau mot pour se la raconter à l’apéro) qui apportent si peu d’amertume qu’elle est surpassée par l’acidité.
Par ailleurs, les progrès de la science dans le domaine de l’hygiène et de la désinfection font que les propriétés antibactériennes du houblon ne sont plus aussi indispensables qu’à l’époque où elles ont été découvertes. Il est donc techniquement possible de brasser sans un seul gramme de cette plante, néanmoins la législation de beaucoup de pays, notamment la France, interdit d’apposer le mot “bière” sur l’étiquette s’il n’y a pas d’Humulus lupulus dans la recette. Houblon et bière sont désormais liés pour l’éternité !
Comment savoir si une bière est amère ?
Vous vous souvenez du petit calcul entre taux d’acides alpha et durée d’ébullition ? Le nombre obtenu porte un nom : l’International Bitterness Unit, “unité internationale d'amertume” pour les francophones, et IBU pour les intimes. Il peut aller de 0 à l’infini, mais le palais humain est capable de déceler une différence d’amertume jusqu’à 100 IBU - au-delà, il sature. À partir de 20, on commence à sentir l’amertume, et les IPA débutent à une 40aine d’IBU.
Un certain nombre de brasseries indiquent l’IBU de leurs bières sur les étiquettes, ce qui vous permettra de faire un choix au moment de l’achat. L’information peut aussi se trouver sur leurs sites internet. Pourquoi ne pas tenter une dégustation de plusieurs bières de différents IBU, pour bien vous rendre compte de la différence d’amertume ? Comme toujours, la modération sera de mise, et d’autant plus si vous ne voulez pas saturer vos papilles…
Et pour en savoir plus sur les différentes saveurs de la bière, jetez un œil à notre abonnement mensuel Sans Pression : chaque mois 6 bières artisanales (3 duos à partager) et Le Galopin, pour en savoir plus sur les bières reçues et le monde qui les entoure !
Article rédigé par Hélène et les Houblons pour Le Petit Ballon.