On sait enfin pourquoi certaines bières moussent plus que d'autres
Une équipe d’universitaires de Zurich s’est penchée sur les lois physiques régissant la stabilité - ou non - de la mousse de différentes bières. Leurs découvertes, au-delà d’améliorer la qualité de nos apéros, pourront servir dans bien d’autres industries.
À quoi sert la mousse de la bière ?
C’est un débat qui agite le monde brassicole depuis bien longtemps : la bière est-elle meilleure avec ou sans mousse ? La réponse pourrait simplement dépendre de la personne interrogée, mais elle est en réalité très culturelle. Les pubs anglais, par exemple, se voient plutôt réclamer des pintes exemptes de mousse, tandis que la plupart des Belges n’envisagent pas leur verre sans un joli chapeau crémeux. Quant à la République tchèque, on y a développé pas moins de cinq types de services différents, allant de quelques bulles à un verre entier de mousse, appelé Mlíko.
Au-delà des préférences personnelles, il reste qu’un beau col de mousse a plusieurs avantages dans la dégustation. Puisqu’elle est composée du CO2 précédemment dissous dans la bière, laisser la mousse se créer permet d’éviter que ce gaz ne se libère dans le système digestif, entraînant maux de ventre et autres éructations. L’autre atout dans la manche de cette jolie écume est son caractère protecteur, car les arômes d’une bière protégée par un doigt de mousse se volatilisent moins vite, garantissant une dégustation de qualité du début à la fin du verre.
Mais évidemment, la question se pose quand le style de bière dégusté se prête à l’apparition de cette spumosité (oui oui, nous aussi avons appris ce mot aujourd’hui). Si les Britanniques précités tolèrent peu l’accumulation de bulles pour chapeauter leurs nonic, c’est que les ales historiquement servies dans le pays contiennent naturellement peu de CO2 - la faute à la conservation et au service au cask, ces tonneaux de bois laissant s’échapper le gaz carbonique.
D’où vient la mousse de la bière ?
C’est donc plutôt vers les bières belges d’abbaye, connues pour leur belle écume, qu’une équipe de chercheurs et chercheuses de l’ETH, l’école polytechnique de Zurich, s’est tournée pour résoudre enfin le mystère de la tenue de la mousse. On savait déjà qu’elle dépendait pour une bonne partie de la teneur en protéines de la bière, car la mousse est en fait une accumulation de bulles de CO2 emprisonné dans une membrane composée d’une combinaison de protéines et de sucres. Preuve en est la belle crème qui se forme sur les bières contenant du blé, une céréale riche en protéines.
En étudiant la différence de tenue de mousse entre des bières belges simples, doubles et triples, ainsi que deux types de lagers suisses, les universitaires ont fait une étonnante découverte : les principes physiques en action sur les bulles ne sont pas les mêmes d’un style de bière à un autre ! Dans la bière triple, leur dynamique est même similaire à celle des tensioactifs, des molécules ajoutées dans certains produits comme les shampooings pour les faire mousser. On épargnera à celles et ceux qui n’ont pas pris l’option “physique des fluides” au bac les détails précis sur la viscoélasticité et l’effet Marangoni.
Surtout que les universitaires n’ont malheureusement pas su déterminer les causes de ces différences entre les bières. D’ailleurs, une des hypothèses posées est la “triple fermentation” que subirait la bière du même nom, sauf qu’il s’agit d’une idée reçue, et ce procédé n’existe tout simplement pas ! Heureusement, l’erreur a depuis été corrigée. Comme quoi, la bière reste encore bien mystérieuse, même quand on a fait Polytechnique !
Ils n’ont vraiment que ça à faire, ces universitaires ?
Bon, là, si vous payez des impôts en Suisse, vous êtes peut-être en train de vous demander s’ils ne pourraient pas servir à autre chose qu’à financer les apéros des chercheurs et chercheuses. Rassurez-vous, ici la bière est surtout un prétexte trouvé par le directeur de l’étude, le chercheur belge Jan Vermant, à partir d’une simple question posée à un compatriote brasseur. Interrogé sur sa manière de vérifier que le processus de brassage s’était déroulé correctement, il a simplement répondu qu’il observait la mousse du produit fini.
En mettant au jour les principes physiques à l'œuvre, l’étude publiée en août 2025 dans la revue spécialisée Physics of Fluids permettra surtout d’adapter ces découvertes à d’autres industries. L’équipe de Vermant travaille ainsi avec l’entreprise Shell pour éviter la formation de mousse par les lubrifiants des véhicules électriques, qui peut représenter un danger pour leur utilisation. Une autre application serait le développement de tensioactifs exempts de fluor ou silicium, et donc moins dangereux pour l’environnement.
Mais le monde brassicole ne sera pas laissé de côté et pourra également récolter les fruits de sa participation à l’étude, les universitaires mettant leurs résultats et leurs compétences à la disposition des brasseries qui voudraient améliorer leurs recettes. Allez, une anecdote pour la fin : saviez-vous que dans un centimètre de mousse, on trouve en moyenne un million de bulles ?
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Article rédigé par Hélène et les Houblons pour Le Petit Ballon.