
C’est quoi une IPA ?
C’est sans doute LE style emblématique du renouveau de la bière artisanale. Quasi inconnu il y a encore une dizaine d’années, il s’est frayé un chemin jusqu’aux tireuses de nos bars, dont plus aucun n’oserait ne pas en proposer. Son histoire est légendaire (littéralement), son goût est réservé aux palais expérimentés (vraiment ?), et ses déclinaisons commencent à se multiplier (rapidement !). Quitte à perdre un peu l’essence du style ? On a laissé la principale concernée s’exprimer.
Le Demi Routard
Hello, it’s me, l’IPA ! Mmh, vous dites ? Oh no, je ne parle pas anglais juste pour frimer, je SUIS anglaise. What? Il y a le mot “Inde” dans mon nom ? Non mais ça, c’est parce que je suis une grande voyageuse, un peu comme ces personnes qui se font tatouer un mot dans la langue du pays qu’ils visitent… Bon, je vois que vous êtes sceptiques, alors laissez-moi vous raconter mon histoire.
Et elle remonte à loin, cette histoire, car je ne suis pas toute jeune ! Pour la comprendre, il faut déchiffrer mon nom : IPA est l’acronyme d’India Pale Ale. “Ale”, c’est le nom donné par les habitants du royaume d’Angleterre à leur boisson de céréales fermentées, non houblonnée - par opposition à la “bière” en vogue sur le continent, et dont la conservation était assurée par le houblon depuis la fin du Moyen Âge. À l’époque, l’ale était plutôt brune et avait le goût du feu de bois au-dessus duquel ses grains étaient maltés. Sympa quand on ne connaît que ça, mais bon, le brûlé, ça va un moment, hein… Heureusement, la Révolution industrielle et l’invention du chauffage indirect sont passées par là, et c’est ainsi que l’ale est devenue pale. C’est ma maman ! Entre-temps, l’usage du houblon est entré dans les mœurs.
C’est là que mon histoire devient encore plus intéressante. Grâce, entre autres, aux taxes sur la pale ale (et sa version plus foncée et moins chère, la porter), la Grande-Bretagne a étendu son empire tout autour du globe, jusqu’aux Indes. L’industrie de la bière profite bien entendu de cette expansion coloniale en exportant des hectolitres et des hectolitres vers tous ces nouveaux territoires. Problème : maman n’aime pas beaucoup bourlinguer. Entre la durée du voyage, les tonneaux en bois qui protègent mal de l’oxygène, et la chaleur, elle a même carrément le mal de mer, la pauvre. Les brasseurs se mettent alors à expérimenter et découvrent qu’en augmentant la dose de houblon et la teneur en alcool, la boisson arrive à bon port en bien meilleur état. Le port en question étant bien souvent quelque part en Inde, la plus grosse colonie britannique de l’époque. Et c’est ainsi que je suis née !
Par ici l’amertume !
Maintenant que vous connaissez mon histoire, il est temps de vous en apprendre plus sur moi, à commencer par mes mensurations. Oh, je vous vois venir, mais il ne s’agit pas de ce que vous pensez. Si je vous dis :
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ABV : 5.0%-7.5%
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EBC : 12-28
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IBU : 40-60
Ça vous parle ? Il s’agit des indications que donne le BJCP, un organisme de certification des juges de concours de bières, pour pouvoir classer une bière dans la catégorie IPA.
ABV, pour “Alcohol By Volume”, c’est le pourcentage d’alcool dans la bière, qui doit donc dans une IPA se situer entre 5 et 7,5%. EBC est l’acronyme de European Brewery Convention, c’est l’échelle de couleur de la bière. Elle va de 1 (blond très clair) à 140 (noir profond), ce qui signifie, vous l’avez compris, qu’une IPA “dans les règles” se doit d’être bien dorée, voire franchement ambrée. Enfin, l’IBU ou “International Bitterness Unit”, indique l’amertume de la boisson. L’IBU n’a théoriquement pas de valeur maximum, mais on estime en général qu’à partir de 100, le palais est saturé et ne sent plus une éventuelle augmentation. 40 à 60 IBU indique donc une amertume élevée, plutôt logique pour une boisson chargée en houblon !
Ça, c’est donc la théorie. En pratique, on est bien d’accord que toutes les IPA sont loin de rentrer dans ces cases. C’est parce que les indications du BJCP sont destinées aux brasseries qui veulent inscrire leurs bières à des concours, et ne constituent absolument pas un cahier des charges ou des règles légales. Brasseurs et brasseuses sont donc libres de créer la bière qu’ils veulent de l’étiqueter IPA.
IPA, NEIPA, WCIPA, WTF ?
C’est ainsi que l’on a vu apparaître ces dernières années des India Pale Ales de tous les profils, ainsi que de nombreuses déclinaisons. Vous avez peut-être vu passer des NEIPA, des West Coast IPA et autres Cold IPA, sans savoir ce que ces appellations signifiaient ? Allez, je vous présente mes frères et sœurs.
NEIPA : pour New England IPA, parfois appelée Hazy IPA, voire Juicy IPA. Si dans les IPA classiques le houblon a un rôle principalement amérisant, ce sont ses arômes (fruités en général) qui sont mis en avant dans une NEIPA, privilégiant une amertume légère. Une technique souvent utilisée est le “dry hopping” (vous avez peut-être vu passer l’acronyme DDH, pour “double dry hopping”), l’infusion de houblon à froid pour exacerber cette aromatique. L’ajout d’avoine voire de blé apporte un trouble et une rondeur à ce genre de bières, leur donnant un côté “jus de fruits” assez étonnant.
West Coast IPA : parfois raccourcie en WCIPA. On remet le curseur côté amertume ! C’est l’opposé total de la NEIPA - y compris géographiquement d’ailleurs, car la Nouvelle-Angleterre se trouve sur “l’East Coast” des États-Unis. On parle ici d’une bière bien amère, sèche, à l’aromatique résineuse, bref, extra désaltérante.
Old School IPA : le profil NEIPA ayant explosé ces dernières années, certaines brasseries ont souhaité revenir au style IPA originel. Le terme “vieille école” signifie ce retour aux sources : une bière légèrement ambrée, à l’amertume prononcée mais qui garde des notes maltées. Simple, basique (comment ça j’ai des réf de 2017 ?).
Cold IPA : dans la grande famille des bières, “ale” signifie aujourd’hui une bière fermentée à haute température (18 à 25°C) grâce à des levures adaptées, par opposition aux lagers dont les levures travaillent à froid (7 à 12°C). Une cold IPA, c’est une hybride : houblonnée et fermentée à haute température, mais avec des levures de fermentation basse, afin d’obtenir une bière légère et bien rafraîchissante.
Bien sûr cette liste est non exhaustive, car l’imagination brassicole n’a pas de limites. J’espère que vous avez apprécié faire connaissance avec moi, et je vous donne rendez-vous dans une prochaine édition de l’abonnement Sans Pression du Petit Ballon !
Article rédigé par Hélène et les Houblons pour Le Petit Ballon.